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LA TRAVERSÉE  DE L’INFINI DES CARRÉS

par Mirella Bandini


Au fil du temps, sous l’impulsion de son fondateur, Isidore Isou, le Lettrisme, se dépasse dans ses apports premiers pour se prolonger, s’épanouir en des propositions toujours neuves, élargissant sans cesse les capacités illimitées de la création et multipliant les pouvoirs de l’homme dans la plupart des disciplines du savoir et de la vie.

Ceci justifiant sa position, affirmée déjà par certains, d’ « école culturelle » la plus importante surgie en France, dès 1945, à la suite du Surréalisme, ou encore, comme le précise son fondateur, de mouvement situé à « l'avant-garde de l'avant-garde ». Cette fermeté révolutionnaire et bouleversante se nourrit et se régénère à partir d’« une théorie en perpétuel devenir », dans la mesure où elle représente un dispositif culturel permanent, autant qu’un système cohérent, symétrique et global exprimé par la Créatique ou la Novatique.

Reposant sur cette conception, les arts visuels se concentrent sur un système englobant l’intégralité des signes de la communication pour fonder une poly-écriture complexe, une « hypergraphie » où se retrouvent, unifiés dans une organisation inédite, les caractères phonétiques, lexicaux et idéographiques possibles, existants ou inventés de toutes les notations.

La finalité de cette démarche, au sein de laquelle l’art plastique et la prose ne se différencient plus que par leurs structures et mécaniques propres, débouche sur la réalisation de « créations totales », dont le vecteur est la perspective d’une révolution culturelle permanente.

L’ampleur des champs découverts justifie, en complément des réalisations offertes par leur créateur, les apports spécifiques de nouvelles générations d’artistes qui, tous à leur manière, exploreront ces découvertes fondamentales pour les développer et les prolonger dans des voies inédites.

Anne-Catherine Caron, par son adhésion, dès 1972, à ces structures est de ceux-là. A travers une position ferme, dure et constante, cette artiste a privilégié, dès le début, une recherche unique fondée sur la figure du carré qu’elle n’a eu de cesse de développer avec rigueur.

Le choix du carré, figure géométrique minimale, coïncide avec cette exigence. La délimitation régulière du vide imposée par les côtés et les angles semblables de cette forme, la sensation d’absence qui en émane, la monochromie qu’elle encercle, ont fasciné cette jeune artiste qui, continûment, depuis ses débuts, de 1972, jusqu’à présent, l’a projetée dans le monde l’art, comme l’unique et inaliénable substance de son travail.

« Le carré EST fatalement SUGGESTIF - EST HYPERGRAPHIE CE QUI NE PEUT SE RESUMER - LE carré CROIT de TOUTES ses FORCES à L’ADIEU suprême DES mouchoirs, IL veut AIMER du BONHEUR, il VEUT de LA jouissance HEUREUSE. - il VEUT des cérémonies fastueuses DANS des souterrains TOISONNES de NOIR. -  ILS voulaient donner à manger aux mots dans le creux de la main au lieu de leur donner une GIFLE ». On le voit, le carré est un agencement prégnant et, à la différence du cercle qui possède en lui-même la potentialité de la rotation, il exprime le sens de la limite, précisément une délimitation volontaire, susceptible en elle-même de marquer l’idée de « frontière ». Par analogie, le carré, c’est la formation du bataillon employée autrefois par l’infanterie pour se défendre des charges de la cavalerie ; c’est aussi le ring des matchs de boxe. Au-delà, cette géométrie stricte prend la forme d’une figure « enchantée », « cabalistique ». Le « carré magique » est un jeu énigmatique consistant à deviner des mots qui, disposés à l’intérieur de différentes cases, peuvent se lire aussi bien verticalement qu’horizontalement.

C’est bien ce caractère envoûtant qu’Anne-Catherine Caron privilégie — et cela dans l’anéantissement de toute représentation tangible ou immédiate —, dès Domaine de l’imaginaire, l’une de ses premières œuvres sur toile de 1973, où elle a tracé de petits carrés vides qui se succèdent dans la dimension secrète, cryptée, de l’hypergraphie à l’intérieur de laquelle elle s’inscrit. C’est ainsi que prennent naissance des pages d’ « écriture », où les carrés se substituent à l’alphabet latin. Réduisant la lettre au carré, le tableau devient « page », c’est-à-dire « lieu d’inscription » d’une multitude de configurations prosodiques, — d’où cette qualification de romans hypergraphiques auxquels pour les indications portées dans leur titre, toutes ses œuvres font écho. « Le carré immature semble captiver, à d’autres fins, l’espace ancien des romans à mots ».

Sur le plan esthétique, dont le but n’est plus utilitaire ou communicatif, le Lettrisme retrouve l’identité « peinture-écriture » qui existait à l’origine, quand sur le seul niveau de l’expression, les deux dimensions cohabitaient. Les tableaux d’Anne-Catherine Caron sont également cela, mais, en eux, la coalescence des deux termes se personnalise à travers la proposition de « suites carrésiques », dans lesquelles les narrations suggérées se condensent indéfiniment en la figure géométrique choisie, gage de sa liberté possible d’exploration de signes absolus, pour aboutir à la transcription plastique non référentielle d’un “ hors sujet narratif aléatoire ”.

Tous les composants de la narration, formés de mots écrits, se sont totalement dissous. Les signes de l’écriture disparaissent inexorablement, se métamorphosent en cadres vides : c’est ici qu’intervient, pour l’artiste, la nécessité d’imposer son signe unique, un « mono-signe », représenté par le carré dont la structure est donnée pour s’accommoder des interventions éventuelles de spectateurs successifs. Ces « riens » répétés défilent dans les divers chapitres de ces romans imaginaires, tel que cela apparaît dans la Bulle hypergraphique désolante, de 1973, caractérisée par la composition d’une grille de carrés blancs et noirs se détachant sur un fond violet ; ils se retrouvent dans Introduction de 1974, constituée par la présence pénétrante de petits carrés noirs sur fond blanc où, par extension, certains de ceux-ci deviennent des rectangles, prenant la dénomination, sans doute par abus de langage,  de « carrés longs ». Dans Ensemble Romanesque hypergraphique, de 1973, les différentes parties du roman hypergraphique sont représentées par un enchaînement de ces mêmes figures, établi à partir de la systématisation de virgules figurant dans le premier chapitre, et finissent par les seules lettres latines encore admises que sont le A et le Z. Un carré entièrement vide clôt la narration. La vision du Roman en quatre chapitres a été conçue en 1973, au travers de quatre groupes, définissant des formes analogues colorées d’orangé et cernées de blanc.

« Les carrés sont aussi stupéfiants que les mots crus ou une réflexion critique qui se glisse sournoisement sur un territoire construit dans la complaisance et l’ambiguïté du plaisir. »

Ainsi, ces œuvres n’entendent pas se compléter. Chacune vit de manière autonome dans son originalité spécifique. L’idée de l’organisation de ces particules prend sa racine dans le roman à écritures multiples d’Isou, Les Journaux des Dieux, de 1950, la première prose hypergraphique qui dépasse la transcription limitée, restrictive, épuisée à partir de Joyce, pour se transposer dans une super-écriture révélatrice de l’ensemble des disciplines culturelles. Occasionnellement, elles se fondent sur l’œuvre infinitésimale ou esthapéïriste, également appelée « esthétique imaginaire », dont le caractère résolument conceptuel, suscite en permanence les élucubrations mentales des amateurs. De même, ces référents constants s’élargissent dans le recours aux supports et aux instruments qu’Isou a systématiquement explorés, d’abord dans le cadre du récit en prose, puis dans la structure de la « méca-esthétique généralisée » : des livres catalogues, des livres vivants contenant des objets les plus variés, des animaux, des feuilles, etc. Dans cette perspective, la narration, devenue fresque métagraphique, pourra se dérouler dans la rue.

Après Isidore Isou, Gabriel Pomerand, Maurice Lemaître et Roland Sabatier ont réalisé des romans à signes, explorant la multiplicité de  cette écriture inédite et les richesses de cette nouvelle forme de prose.

Mais l’ascendance la plus lointaine, remonte, au niveau purement émotionnel — et non point dans les manifestations de la démarche plastique envisagée par Anne-Catherine Caron —, à la vision, qu’elle qualifie d’ « émouvante », d’une œuvre qui a été fondamentale pour elle. Dans une note biographique, évoquant la célèbre œuvre monochrome de 1918, Carré blanc sur fond blanc, qui représente l’antécédent historique par excellence du courant minimaliste, emblème de la pureté absolue du Suprématisme, elle précise : « ne plus faire de belles pages d’écriture, mais retrouver la présence absolue qui transparaît dans le carré blanc sur fond blanc de Malevitch ».

« J’ai brisé les limites de la couleur […] se fondre dans le blanc et nager dans cet infini […] ce n’est pas un carré vide, mais la sensibilité de l’absence du sujet », sont autant de déclarations du créateur russe qui attestent l’entrée de l’art dans une dimension métaphysique et immatérielle. Cette résolution révolutionnaire et éminemment radicale, qui participe de l’état d’esprit de cette future membre du groupe lettriste, a ouvert de nouvelles voies à l’art, comme le démontrent les œuvres de Rodtchenko, Ad Reinhardt, Robert Ryman, Ellsworth Kelly, Brice Marden, Josef Albers, jusqu’à la structure monochrome d’Yves Klein et les carrés en quinconce de Nilde Toroni (B.M.P.T.) datant des années soixante-dix.

En 1978, Anne-Catherine Caron publie Roman à Equarrir, un roman hypergraphique composé de nombreuses pages de texte interrompu par des planches dessinées dans ses deux non-couleurs de prédilection, le noir et le blanc. Ce petit livre mal équarri, selon ses termes, s’ouvre sur les domaines idéationnels d’un imaginaire rejoignant l’infime et incite, parallèlement, les lecteurs potentiels à des interventions possibles. L’on peut y voir l’exercice de style ludique et rigoureux sur le thème du carré auquel se livre de manière jouissive l’auteur qui traduit par « un manifeste personnalisé » ses déclinaisons carrésiques et les réalisations potentielles qui peuvent en surgir. Il s’agit d’une œuvre conceptuelle, qui développe les lignes de force du Lettrisme. « C’est un roman, mais en même temps cela n’en est pas un », déclare l’artiste, puisqu’il s’agit d’un roman qui cherche constamment l’objet et le sujet de son écriture, et, avant de s’interroger sur les formes possibles de la narration, s’essaie, de manière presque obsessionnelle, à définir et à cerner les configurations possibles de son personnage principal : le carré sur lequel elle « construit la sensibilité ». En exergue, l’artiste a placé une phrase significative d’André Gide, « Ce livre barbare, mal équarri, sans art, sans grâce ». L’auteur avertit immédiatement le lecteur : « Attention, il y a du carré à chaque ligne ! » Mais la trame est totalement absente, la narration traditionnelle est résolument cassée, par son oubli de début réel qui apparaît volontaire dans l’œuvre. 

Ce roman « donné-à-voir », représente un processus d’explicitation de l’intériorité de l’artiste, et ceci, dans une perspective que n’embrassent pas, du moins dans leur intégralité, certains des romans hypergraphiques conçus par Isou, Pomerand ou Sabatier, construits autour d’autres problématiques théoriques, romanesques et plastiques. D’ailleurs, le Roman à Equarrir pourrait également se définir comme un anti-roman hypergraphique. La narration esquissée, par endroit, s’élabore et se perd synchroniquement, et sans cesse, ne commence et ne s’achève. La structure du livre est bouleversée, niée, sa pagination n’a pas de sens réel et pratique, sa numérotation est volontairement altérée, on sent que l’auteur à voulu jouer, peut-être à cette sorte de cache-cache avec les mots qui la hantait avant de découvrir l’inépuisable richesse du domaine de la super-écriture. Quant aux divers titres constituant la table des matières, on a le sentiment qu’Anne-Catherine Caron s’amuse avec des références qui lui sont propres et que son discours est de les désorganiser pour  jouer de l’idée de « discrépance » qui lui est apparue, dans le rapport dissocié de l’image et du son lors de la projection du chef d’œuvre cinématographique d’Isou, de 1950, Traité de bave et d’éternité.

Nous ne trouvons naturellement pas de trame réelle ou de structure à proprement parler du récit, mais une non-trame qui vaut pour l’interrogation représentée par le carré, que l’artiste décline sous différentes formes visant à constituer une mono-écriture personnelle, un parti pris qui prend des allures théoriques. « Mes carrés, blancs et parfois noirs, dit-elle en parlant de son livre,  sont également, pour moi, des signes qui se différencient, la couleur ou la non- couleur  – volontairement le blanc et le noir – constitue aussi des signes, chromatiques ou non chromatiques, si nous le voulons ». Certaines pages intégrant l’usage d’éléments typographiques ne sont pas sans rappeler, dans une certaine mesure, des travaux se réclamant de la poésie visuelle ; mais le parcours de l’artiste est résolument orienté vers la destruction absolue du mot — même quand il subsiste, il n’a plus, en tant que tel, sa valeur habituelle —, qui se retrouve réduit à un signe absolu – le carré –, inscrit dans l’espace devenu pictural. L’on peut certainement lire ici une adaptation, qui prend des allures juvéniles, des fondements géniaux mis en place par le créateur du Lettrisme.

Le parcours artistique d’Anne-Catherine Caron, qui l’a conduite à se déplacer de Paris pour aller vivre pendant un certain nombre d’années en Italie, a connu des phases de réflexions et d’interrogations profondes, alternées avec des engagements professionnels : pendant quelques années, son rôle au Centre Culturel Français de Turin, puis, plus récemment ses activités de traducteur et d’enseignant, en tant que lecteur de français à l’Université de Turin. Simultanément, avec vigueur et des initiatives originales, elle a suivi avec attention toutes les manifestations du groupe de ses amis lettristes, auxquelles elle a souvent participé. La démarche singulière et radicale de ses choix, l’a également amenée à aborder, comme la plupart des représentants de cette école de novateurs, d’autres secteurs que la peinture, comme la photographie, la poésie, le cinéma et l’architecture lettristes. 

De 1992 à 2002, elle réalise un « roman mural », qui s’inscrit dans le développement d’une longue durée. Cette fresque monumentale, composée de plusieurs centaines de pièces accomplies au jour le jour est formée d’une succession de pages de carrés peints à l’acrylique, accompagnés, majoritairement, de signes captant une prolifération variée d’idéogrammes « mécanisés, débités par la machine, comme « l’on débiterait du roman » qu’elle a composés à l’aide d’un ordinateur. Parlant de ce travail, que lui a inspiré  Le Téléscripto-peinture, proposé, en 1963, par le créateur du Lettrisme, elle ajoute : « Sur mes feuilles, je me suis autorisée à une pluralité d’idéogrammes intervenant dans cette œuvre comme des fonds, analogues à ceux que l’on retrouve, par exemple, dans nombre d’œuvres de Roland Sabatier, dans le but de constituer les beautés essentielles de la phase descriptive, amplique, de l’art hypergraphique que je m’étais interdit d’aborder, préférant jusqu’alors, la densité et l’hermétisme de l’agencement carrésique. Ces pages mosaïquées,  comportant des lignes et des colonnes, sont naturellement  transcendées par des carrés et parfois par des lettres, ajoutées maladroitement au pinceau, sans vouloir faire beau. C’est mon Roman Mural intitulé Tu minaudes, alors qu’il faut changer le monde. »

Aujourd’hui, Anne-Catherine Caron continue inlassablement à travailler sur le thème du roman qui lui est cher qu’elle décline toujours, sur toile ou bien sur papier, dans la multiplicité des carrés qu’elle dévide sans fin. Récemment, elle a constitué ce qu’elle appelle ses « romans en piles » qui jonchent le sol de rames de papier pour approfondir les pages de cette traversée éperdue de l’infini des carrés.

Finalement, du carré, on n’en termine jamais : « il est la métaphore que vous voulez dans un monde totalement réinventé ».

(Traduit et adapté de l’italien par Adélie Artaud. Extrait de « Anne-Catherine Caron, la traversée de l’infini des carrés », Ed. Archives du Créatisme et du Lettrisme, 2003).



ANNE-CATHERINE CARON

Entretien avec Sandro Ricaldone

 

Sandro Ricaldone - Ma première question porte sur vos débuts, sur l'origine de vos rapports avec les lettristes.

Anne-Catherine Caron - La question s'impose... car, c'est de là que tout commence. C'était en 1972, j'étais très jeune, et je dois dire que le fait de cótoyer des créateurs permet d'évoluer plus rapidement, de "crescere", comme on dit en italien. Par exemple: Rimbaud ne serait sans doute pas Rimbaud s'il n'avait pas rencontré Verlaine. Peut-étre serait-il devenu un voyou... Je suis donc entrée très tót dans le groupe comme d'ailleurs beaucoup d'autres lettristes... c'est-à-dire avant mon baccalauréat. J'étais au lycée de Sèvres et il se trouve que Jean-Pierre Gillard, Gérard-Philippe Broutin et François Poyet, qui étaient déjà lettristes, gravitaient autour de ce lycée. Je les considérais comme les jeunes gens les plus intéressants parmi ceux que je pouvais rencontrer durant cette époque fondamentale de ma formation intellectuelle... Vous savez, c'était I'époque du gauchisme et du maóisme. Et tous les trois me fascinaient par leur originalité, leur intelligence, leur culture. J'ai eu I'occasion d'avoir de nombreuses discussions avec eux. J'avais une grande soif de savoir..., ce que me proposaient mes camarades du lycée ne me séduisait pas... et j'avais parallèlement le désir que je qualifierai de puissant de "créer", de faire des choses, en raison du fait que je suis la fille d'un écrivain et que mon père écrivait des romans à succès, des scénarios pour la télévision et le cinéma..., il avait également écrit dans la revue surréaliste “Les Temps mélés”. Et moi, je me rendais compte, au fond, que c'était de la production répétitive et que, quelque part, I'écriture était arrivée à sa fin... J'aimais Joyce et c'est peu après que j'ai découvert “Finnegans Wake”. La rencontre avec ces trois jeunes gens pétris de culture, un peu dandys, tous à leur manière, de Gillard, notamment, féru de poésie... m'a soudain éclairée... Ils me donnaient des clés d'explication possibles dans tous les domaines... En fait, c'est surtout gràce à Gillard, avec lequel j'ai entretenu le lien le plus suivi, que j'ai immédiatement assisté aux réunions lettristes, et que j'aì naturellement rencontré Isou pour la première fois.

 S.R. - Comment avez-vous alors abordé le savoir immense proposé par le Lettrisme?

A.C.C. - En premier lieu, par le biais des domaines artistiques dévoilés par Isou, bien que, comme tous mes camarades, le but soit d'embrasser tous les domaines de la Culture et la Vie. Très vite, j'ai lu le Soulèvement de la Jeunesse et d'autres ouvrages d'Isou. Ma première approche a été celle de la super-écriture ou de I'hypergraphie. Comment, au fond, arriver à dépasser la prose. Pour moi, I'hypergraphie a été une révélation et surtout “Les Journaux des dieux”. Dès ce moment là, je me suis dit que dans cet univers de signes, il me fallait trouver le mien, un élément qui me soit propre... Et comme j'étais proche de Gillard qui développait un monosigne, le psi, dans une démarche qu'il a qualifiée d'infinitésimale... de mon cóté, j'étais très attirée par la peinture de Malévitch, les toiles de Mondrian que j'ai admirées au Stedelijk Musuem, avec ces traits horizontaux et verticaux authentiques, émouvants, qui ont été pour moi une véritable révélation. C'est à partir d'eux que j'ai décidé que mon signe serait le carré.

 S.R. - C'est de là que vient “Roman à Equarrir” qui date de 1978?

A.C.C. - Quand je suis entrée dans le groupe, je voulais absolument écrire un livre et plus précisément un roman. Je I'ai conçu en 77 et j ai eu I'occasion de le publier grâce à des neveux de la famille du Prince Sihanouk, envers lesquels je reste très reconnaissante. Réfugiés à Paris, ils étaient épris de littérature française et souhaitaient publier de la poésie... Dès que je leur ai montré mon petit livre, ils I'ont trouvé amusant et ont immédiatement accepté de le publier. Pour concevoir cette oeuvre, j'ai non seulement été influencée par “Les Journaux des dieux” d'Isou, par quelques bribes de “Gaffe au golf”, mais, également par le personnage légendaire du groupe, Gabriel Pomerand, le premier compagnon d'Isou, dont j'avais trouvé “Saint-Ghetto-des-Prés” dans une librairie du Quartier Latin. Cette prose nouvelle, avec des rébus, des polyécritures, m'attirait, apparaissait à mes yeux comme la seule solution possible dans un art sur lequel, déjà à I'époque, I'on s'interrogeait beaucoup...

 S.R. - Cet ouvrage I'aviez-vous lu avant votre entrée dans le groupe?

A.C.C. - Non ce livre, je I'ai lu alors que j'étais déjà dans le groupe, mais mon père avait dans sa bibliothèque I'édition originale de “L'Agrégation d'un nom et d'un messie” qui est le premier "roman" d'Isou auquel j'ai eu accès avant de devenir lettriste. J'avais été surprise par le terme de messie, mais je n'y ai pas vu d'interactions directes avec la Torah ou une pensée qui aurait pu étre explicitement juive.

 S.R. - Dès votre entrée dans le groupe, vous avez donc commencé immédiatement à exposer?

A.C.C. - En 1972, le groupe était très vivant, très actif et comptait de nombreux jeunes. Un grand nombre d'expositions étaient organisées, notamment par Roland Sabatier, comme "La vérité plastique", à la galerie Visat, où se coordonnait quantité des activités du groupe, mais, tous, plus ou moins, étaient actifs, pour ne citer que quelques-uns, Curtay, qui venait de publier La Poesie Lettriste, chez Seghers; Gillard, également, menait beaucoup d'actions... Et ces jeunes gens du groupe, qui comprenaient également des femmes, comme Micheline Hachette par exemple, étaient non seulement porteurs d'une vision esthétique, mais également de tous les autres secteurs du Savoir et de la Vie: la politique, la philosophie, I'économie, le tout dans I'approche dite kladologique qui prend en compte I'ensemble des disciplines de la connaissance. C'était, et cela reste, I'intérét fondamental de cette école. Mirella Bandini le rappelle fort justement dans son livre “Pour une histoire du Lettrisme”, paru I'an dernier.

 S.R. - Vous disiez donc que lors de votre venue dans le groupe, celui-ci était extrémement actif, mais en méme temps, disons que I'élaboration théorique, en particulier d'Isou, semblait assez définie, parce que, par la suite, il n'y a plus eu que des ajustements, des approfondissements dans divers secteurs, mais le système général était posé. Sur ce sujet, je voudrais connaître votre avis... s'il est vrai, au contraire, que le mouvement a proposé des découvertes significatives, mis à part I'excoordisme, qui est un peu compliqué, et selon vous, s'il y a eu, sur ce pian, des contributions créatives pouvant rivaliser justement avec ”Les Journaux des dieux” ou bien des oeuvres, comme par exemple, “Les Nombres”.

A.C.C - Quand je suis entrée dans le groupe de nombreux ouvrages d'Isou n'étaient pas encore parus, “Introduction à la Psychokladologie” et “La Créatique ou la Novatique”, par exemple. Certes, les fondements de la créativité, d'un certain nombre de bouleversements étaient posés, c'est la loi des grandes écoles, comme le Classicisme ou le Romantisme. Mais leur contenu a justifié de nombreux approfondissements, des apports successifs de chacun et des ceuvres importantes de différents lettristes, comme celles, par exemple, de Sabatier A son sujet, je pense précisément à I'ensemble de ses Oeuvres de cinéma... Et d'autres aussi d'Isou, comme sa série de méca-esthétiques, ou encore son ouvrage “De I'Impressionnisme au Lettrisme”, de 1973, ou méme “Introduction à une restructuration des mathématiques”, de 1986, que Broutin a publiée... Je conçois, qu'à I'extérieur, il puisse exister I'idée sous-jacente que, peut-étre, le Lettrisme serait dépassé. C'est inexact. La réalité est qu'il s'approfondit sans cesse en se dépassant lui méme dans des données inédites. II faut considérer, tout de méme, qu'encore aujourd'hui, des structures comme I'Art imaginaire et supertemporel demeurent quoi qu'il en soit largement en avance sur I'ensemble des réalisations de la plupart des artistes contemporains dont certains, quelquefois, s'en approchent. Tout cela sans compter I'excoordisme, I'art des infiniments grands et des infiniments petits qui en est encore à ses balbutiements. Comme Sabatier me le dit souvent, je reste persuadée qu'il subsiste encore énormément d'organisations, de systèmes d'écriture à trouver, mis en piace pas Isou dans I'ensemble des arts. Je connais des gens de la poesie visuelle, comme Arrigo Lora Totino qui est un excellent interprète des poèmes d'Isou... En fait, ce que font les autres ne fait que corroborer la justesse de nos vues... D'ailleurs, je me souviens avec plaisir de la Manifestation Milano Poesia, organisée à Milan, en 1985, dans le cadre de laquelle je me suis occupée de la venue d'Isou et de la section consacrée au cinéma lettriste. Les représentants de la poésie visuelle étaient nombreux et, avec son sens habituel de la provocation, Isou les a superbement remis à leur piace dans le contexte de son recitai personnel.

 S.R. - Pour revenir au groupe lettriste, quelles sont, pour vous, les personnalités marquantes de celui-ci?

A.C.C. - Sans conteste, Isou, dont j'ai immédiatement admiré I'oeuvre. Je songe... je cite au hasard... son film, fondateur du cinéma d'avant-garde, “Traité de Bave et d'éternité”, auquel je fais référence dans le travail que j'expose à la Galerie Balestrini, et à son immense culture et je pense également à ses apports dans tous les domaines. Son oeuvre est admirable à tous les niveaux. L'idée de I'externité développée dans “Le Soulèvement de la Jeunesse”, la révolution juventiste, la notion de créativité détournée qui s'applique si bien aujourd'hui aux événements du Moyen Orient ou de I'Irak. II y a aussi Roland Sabatier, dont je me sens très proche au niveau esthétique. Je crois beaucoup à ce qu'il a fait dans le cinéma et dans I'ensemble de ses travaux en général qui explorent et défrichent systématiquement, en les approfondissant, les domaines du Lettrisme. C'est un artiste rigoureux, exigeant, assez distant à sa manière, réfléchi, certainement celui qui a la meilleure connaissance du Lettrisme et de ses activités. II est, en quelque sorte, la mémoire historique du Lettrisme. Quant à Lemaître, c'était un aîné apprécié dont je connaissais aussi les ceuvres et les actions. Au fond, j'ai été marquée par de nombreux lettristes, Curtay, qui n'est plus dans le groupe, Poyet, pour ses films et l'humour de ses titres, Broutin qui a toujours excellé dans la récitation de ses poèmes, sans parler de Gillard...

 S.R. - Selon vous, existait-il une dialectique entre le mouvement lettriste et, dìsons, ce qui se passait dans I'art, dans la littérature etc. et dans la pensée contemporaine, au-delà de ce qu'ont été les polémiques historiques contre les Nouveaux Réalistes, Ben, I`Internationale Situationniste?

A.C.C. - Je crois avoir répondu en partie à cette question dans ce qui précède. Si vous voulez dire qu'il faut étre en rapport avec le monde, j'ai toujours eu le sentiment que nous I'étions et méme que nous sommes de plein pied dans I'actualité... “Les Manifestes du Soulèvement de la Jeunesse”, d'Isou, notamment au sujet des événements de mai 68, le prouvent amplement. Roland Sabatier vient de les préfacer pour une publication prochaine. II faudrait que les jeunes lisent ça... Cela leur donnerait à connaître leurs intéréts propres. Puis, étre en rapport avec le monde, c'est aussi étre en rapport avec les créateurs du passé... Je m'attache à visiter les expositions d'artistes contemporains que je suis toujours avec attention. En 1990, à Savone, j'avais organisé une exposition réunissant I'AIlemand Mike Rose qui a été proche des lettristes à une certaine époque, I'Italien Arrigo Lora Totino et moi-méme, qui s'appelait Ipergrafia e Poesia Visuale Oggi. C'est ce que I'on peut appeler de la confrontation, comme vous I'entendez, me semble-t-il.

 S.R. - Après I'exposition collective réunissant plusieurs femmes lettristes au Musée d'Art Moderne d'Albisola, où vous exposiez vous-méme la fresque qui est reproduite dans ce catalogue, pouvez-vous me dire ce que vous présentez chez Balestrini ?

A.C.C. - Depuis Il Leftrismo al di là della femminilitudine dont vous parlez, j'ai participé à une importante exposition, “Après la fin de l'art (1945 - 2003)”, au Musée d'Art Moderne de Saint-Etienne, en présentant une oeuvre de 1979, “Roman à Equarrir”, version à feuilleter, qui était disposée au sol, faisant pratiquement fi de l'accrochage lui-méme, ce qui n'est pas pour me déplaire... Pour ma fresque que vous signalez, elle est le résultat d'un long travail, réalisé sur des sorties d'imprimantes, de 1992 à 2002, que j'ai complété dans des organisations carrésiques, obtenues à partir de mon signe de prédilection que je continue à explorer... Durant le temps où j'étais établie en Italie, j'ai continué à travailler, mais j'ai, il est vrai, peu exposé: je crois qu'une oeuvre intimiste comme la mienne doit, me semble-t-il, cultiver la rareté, I'absence de profusion, pour sauvegarder son hermétisme, un cóté mallarméen que ce travail suggère.

Chez Balestrini, je présente des réalisations plus récentes qui s'inscrivent dans les dimensions du cinéma et de la photographie. Les photographies sont extraites d'une serie de seize, dont quatre sont actuellement exposées aux Etats-Unis et tournent autour de I'idée d'un Roman d'une exposition où je mets en scène, avec mes moyens propres, le plan du musée d'Albisola. L'ensemble concrétise une relecture photographiée de I'exposition des femmes lettristes qui a eu lieu à cet endroit. J'aime me maltraiter dans cette mise en abîme de mon propre passé. Le roman dans le roman..., le roman dans le plan... Dans cette exposition en dehors de petites ceuvres constituées de rouleaux et de bandes, la pièce principale représente un film sans pellicule, long de plusieurs dizaines de mètres, où j'explore les différentes possibilités de I'infiniment petit et de I'infiniment grand coordonnés dans leurs rapports à I'image filmique. le me suis ici intéressée à ce que peut être la multiplication et démultiplication de I'écoulement de la reproduction de I'image qui est la définition du cinéma donne par Isou dans son ouvrage de 1952 consacré au septième art. C'est un film en couleur! Avec quantité de cadrages émouvants et d'écritures proliférantes... Cela se joue comme une Partie de Lettrisme que cette exposition sera.

(Entretien enregistré le 1er mai 2004 au Bar Testa d'Albisola, in Catalogue de l’exposition personnelle « Partita di Lettrismo Partie de Lettrisme »,  Balestrini Centro Cultura Arte Contemporanea, Albisola, 2004).



ROMAN D’UN VERNISSAGE A LA GALLERIA DELLE DONNE DE TURIN

par Paolo Carosio


Paolo Carosio :- Comment s’est passé le vernissage ? C’est toujours aussi animé avec les lettristes ?

Anne-Catherine Caron :-Absolument ! Il y avait beaucoup de monde, des femmes uniquement.

PC :- Ce n’est pas banal!

ACC :- Non ! Le jour du vernissage, comme me l’avait précisé Edda Melon, une universitaire spécialiste de littérature des expressions féminines et expérimentales, et qui est à l’origine de cette exposition, le lieu se présentait comme une petite agora, un parterre ou un carré au féminin, un gynécée, si vous voulez. Les autres jours, tout le monde peut librement venir visiter l’exposition.

PC :-  Qui était là, alors, à cette rencontre-vernissage ?

ACC :-  Il y avait mon amie Mirella Bandini, défenseur du Lettrisme qui m’a consacré une monographie (« Anne-Catherine Caron ou la traversée de l’infini des carrées »), publiée en 2003 aux Editions du Créatisme et du Lettrisme. J’ai été très touchée par sa présence ainsi que par celle de Carla Bertola, artiste et animatrice d’une revue de poésie visuelle, d’Anna Battaglia et de Melita Cataldi, toutes deux professeurs à l’Université de Turin, sans parler de toutes les autres femmes, des cinéastes, des peintres et des romancières qui ont manifesté un intérêt attentif à mon travail. Ces rencontres avec des lecteurs sont salutaires et indispensables pour avancer… A chaque fois que de telles occasions se présentent, je comprends toujours mieux la formule de Duchamp : « C’est le regardeur qui fait le tableau »…

PC :- Justement, que donnez-vous à regarder ?

ACC :- J’expose un morceau choisi de quinze pages de mon roman intitulé « Romanzo di una Lettrista » qui en comporte déjà une centaine et fait partie d’un ensemble plus vaste que je suis actuellement en train de réaliser et qui s’appelle « Les Années lettristes ». Chaque partie, organisée en différentes séries, montre des morceaux de ma vie déclinée, sous de multiples formes narratives, à partir mon unique signe carrésique.

PC :-  Moi qui ai eu l’occasion de lire votre « Roman à Equarrir », je connais votre passion pour ces petits « riens » jetés sur de simples feuilles d’écolier…

ACC :- Nous allons y venir… Milli, la directrice de la galerie a personnellement filmé l’ensemble de la rencontre qui rendra compte de mon débat avec la « curatrice », Edda Melon. Cette dernière avait préparé une série de questions fort judicieuses sur mon travail et sur le Lettrisme. Et justement, on m’a demandé de parler de mes carrés…de ce continu, de cette répétition qui n’en finit pas… que j’ étale à l’infini, de cette mise en abîme que je ne cesse de mettre en scène…

PC :- Si je comprends bien ce Romanzo renvoie à un discours autobiographique ?

ACC :- Oui, c’est la vie dans l’art, en quelque sorte…enfin la vie comme simple sujet, j’entends… Je ne recherche pas l’exactitude dans ce que je raconte… mais, une forme d’harmonie, peut-être, des suites carrésiques plaisantes à décrypter.

PC :-  Vous avez naturellement parlé de l’hypergraphie ?

ACC :- Oui, des milliards de signes composant cette esthétique si riche, et également de l’intégralité des éléments de la communication visuelle que je réduis en quelque sorte au carré !

PC :- Quelles ont été les réactions ? Ce n’est tout de même pas commun de proposer des romans de ce genre sur les murs… Aujourd’hui !

ACC :- J’ai été impressionnée par deux interventions d’artistes qui ont insisté sur ce continuum éternel, cette répétition qui va même jusqu’à englober l’irrégularité. J’approfondirai cela lors de la publication future du débat qui a été très animé et a ouvert à beaucoup de questionnements…

PC :- Edda Melon a dû vous demander de parler de l’exposition « Au-delà de la féminitude » que vous aviez organisée au Musée d’Art Contemporain d’Albisola…

ACC :- Oui naturellement… J’ai dit un mot à ce sujet-là, vous comprenez, les femmes que j’admire sont des externes, elles se situent en dehors du système, si vous voulez, c’est-à-dire qu’il s’agit de sujets dont les potentialités sont liées à leur absence d’attachement aux fonctions qu’elles occupent dans la société. J’ai d’ailleurs tenu à rendre hommage à Micheline Hachette et à Woodie Roehmer que j’aime pour la constance de leur lutte pour la propagation, au travers de leurs œuvres et de leurs actions, d’une école inédite. On a également parlé de l’Art Corporel au sujet d’une question sur le rapport de l’artiste et de l’art, de poésie lettriste… de cinéma, enfin de tout… Le sujet est vaste, comme les domaines dévoilés par le Lettrisme.

Turin, le 4 février 2006.

Entretien réalisé à l’occasion de l’exposition d’Anne-Catherine Caron, « Romanzo di una lettrista », organisée par Edda Melon à la Galleria delle donne, en 2006 à Turin. Publié en 2006 dans »Les enfants de la créatique et du lettrisme ».


    

PROSES VOILEES SUR MATISSE

par Roland Sabatier


Depuis la venue de l’hypergraphie, l’univers des signes s’est imposé comme le fondement commun de l’ensemble des arts visuels. Dès lors, peinture, roman, cinéma, théâtre ne se différencient plus que par les cadres, les supports et les outillages spécifiques de ces arts.

Ici, choix de la prose dont les dix pages non liées s’appréhendent au cours d’un accrochage horizontal qui expose à notre vue une configuration particulière, inédite, de la narration.

Chevauchant des aplats aux formes géométrisées dont les couleurs primaires sont autant de références à Matisse, les œuvres de cette série nous offrent des monosignes carrésiques que complètent – expliquent en fait – ici ou là des notations alphabétiques qui semblent valoir pour titre des segments. Ce matériel est tantôt élargi ou réduit au rythme d’une préoccupation excoordiste qu’indiquent des précisions de direction et de discontinuité.

Un voile aux brillances variables vient en chacune entourer ces contenus comme pour accuser leur profondeur tout en les rendant impalpables, sans jamais pourtant les occulter. Il nous désigne le « quelque chose », comme celui de Parrhasios, au-delà duquel l’amateur demande-à-voir, même s’il sait que ces Proses voilées sur Matisse n’ont de sens profond et juste qu’à tenir compte de Roman à Equarrir que l’auteur nous proposait en 1978.

(Texte écrit en novembre 2006 et publié dans le catalogue de l’exposition personnelle des dix pièces d’Anne-Catherine Caron à l’Atetier Lettrisa de Colle Val d’Elsa en Italie du 30 janvier au 11 février 2007).



ANNE-CATHERINE CARON : L'ART AU CARRÉ

par Damien Dion


Fille d’écrivain, c’est en 1972 qu’Anne-Catherine Caron, alors lycéenne, découvre le mouvement lettriste et y adhère. Partant du principe que beaucoup de choses ont déjà été faites au sein de l’hypergraphie, elle se détermine à élire son propre signe. Admirative depuis l’adolescence de l'œuvre de Malévitch et de Mondrian, c’est naturellement qu’elle choisit la figure du carré, qu’elle considère à la fois comme un signe en soi, mais aussi comme la réduction de tous les signes existants ou possibles.

Ainsi, le carré se substitue à l’alphabet latin, la toile peinte devient page, c’est-à-dire lieu d’inscription par excellence : l’écriture et la peinture se voient de la sorte réunies en une seule structure où l’auteur opte pour un parti pris « pur et dur » puisque l’hypergraphie est elle-même réduite à un signe absolu inlassablement répété. Cependant, comme pour symboliser le passé de la prose, l’artiste laisse subsister, dans certains interstices, les lettres A et Z, pour justement signifier la représentation ultime d’une écriture essentiellement utilitaire, abandonnée au profit d’arrangements purement esthétiques, formels.

Les mots écrits, composants fondamentaux de la narration, sont totalement dissous, remplacés par ce carré qui fait office non seulement de signe, mais aussi de cadre vide laissé à l’imagination et à l’intervention potentielle du spectateur-lecteur, selon les principes de l’Art infinitésimal, créé en 1956 par Isidore Isou.

L'artiste explore dès lors diverses facettes du roman, déclinant ses narrations "carrésiques" sur de multiples supports. Ainsi, jouant sur l'ambiguïté peinture/prose due à l'hypergraphie, elle propose de véritables romans sur toile, comme par exemple, dans deux œuvres de 1973, Roman contre ou encore Ensemble romanesque hypergraphique où elle individualise certaines portions rythmiques des éléments constitutifs de la super-écriture enserrés de ses carrés.

En 1978, Anne-Catherine Caron systématise sa démarche au travers d’un livre d’apparence traditionnelle, avec Roman à Équarrir, un roman à dominante hypergraphique composé de nombreuses pages de texte interrompues par des planches dessinées autour du thème du carré. Ce livre au contenu épuré et souvent hermétique est considéré par l’auteur comme un roman qui cherche constamment l’objet, le sujet de son écriture, s’interrogeant sur les formes possibles de la narration. La trame est cependant absente, cassant volontairement la narration traditionnelle pour transformer une prose «donné-à-lire» en prose «donné-à-voir».

Ainsi, la narration esquissée par endroit s’interrompt aussitôt pour recommencer ailleurs. L’auteur s’amuse de la structure même du livre qu’elle voue à la négation. Il n’y a en effet ni début, ni fin, Anne-Catherine Caron semble se divertir à tout chambouler, jusqu’à la numérotation des pages, inscrite de manière aléatoire.

Cette absence de trame narrative réelle et cette remise en question de l’architecture romanesque fait de cette œuvre ce qu’on pourrait appeler un anti-roman, puisqu’il se base sur l’anéantissement formel et sémantique de la prose hypergraphique, à l’instar de Finnegans Wake de James Joyce pour la prose à notation latine

    A partir des années 1980, tout en poursuivant son œuvre dans le cadre du groupe lettriste, Anne-Catherine Caron s’installera pour un certain nombre d’années à Albissola en Italie où elle s’occupera notamment de la propagation des idées du mouvement, en particulier au travers de son amitié avec la critique d’art Mirella Bandini dont elle fait alors la connaissance. Au cours de cette période, elle approfondira ses réalisations grâce à des séries emblématiques telle une série de dix toiles conçues comme autant de romans imaginaires où elle dissémine des suites de carrés et de rectangles noirs dans l’espace vide de la toile, qu’elle répartit à chaque fois en vingt-quatre groupes considérés comme des chapitres. Ici, les groupes «carrésiques» renvoient à des formes de narration inexistantes ou possibles, à une anti-prose oscillant entre des «presque-riens» et des réalités esthétiques inconcevables.

Par ailleurs, en 1985, elle organise la venue d’Isidore Isou à Milan au Festival international Milano Poesia  où ce dernier interprètera sur la scène de la Rotonda della Besagna sa célèbre œuvre infinitésimale Contre les positions réactionnaires, néo-nazies de la poésie sonore où le poète, tout en se déshabillant et en insultant les membres de la poésie sonore qu’il considère comme des copistes de la poésie lettriste.

En 1992, elle entame son «Grand Œuvre» avec Tu minaudes alors qu’il faut changer le monde, une gigantesque fresque composée de plusieurs centaines de pièces réalisées au jour le jour, formées d’une succession de pages d’idéogrammes proliférants réalisés sur ordinateur, et augmentées de carrés et de lettres latines peints à l’acrylique. Ce roman mural, achevé en 2002, s’inscrit encore une fois dans ses recherches de nouvelles formes romanesques. Ainsi, par volonté de sortir du roman traditionnel à feuilleter, l’artiste propose au lecteur d’embrasser l’ensemble des pages d’un seul regard. De plus, l’accrochage vertical apporte une inédite perception des configurations prosodiques qui se rapproche de la dimension plastique, picturale de l’hypergraphie.

Toujours basés sur une narration hermétique et déconstruite, elle agence, en 2003,  des mots et des citations auxquels elle superpose ses fameux carrés, reprenant, d’un point de vue stylistique ce qu’elle avait abordé avec son roman mural. La configuration des pages est cependant différente. La verticalité de la fresque, qui conférait à l'œuvre un aspect imposant, solennel, est remplacée ici par une organisation en tas superposés, ses romans en piles, accessibles au public et donc manipulables dès leur entrée dans le lieu d’exposition.

La même année, l’artiste développe ses premiers romans en bande roulée où l’élément carrésique se décompose et s’étend sur de longues bandes de toile, ou bien se replie sur lui-même lorsque la toile est enroulée. Ces rythmes «excoordistes» (de «extension» et «coordination») permettent une lecture mouvante, suivant les longueurs déroulées ou non.

En dehors du roman et de la peinture, elle décide d’explorer une forme de cinéma en dehors des limites de ce qu’on appelle «cinéma». Ici, avec Corrélations avec l’éternité de 2004, pas de projection, pas de mouvement visible ou d’enregistrement sonore, le film devient un ensemble de grandes bandes de papier de plusieurs mètres sur lesquels sont collées des photographies, comme autant de fragments d’images filmiques qui se coordonnent à la figure carrésique. L’auteur, devenue cinéaste, cherche à explorer les différentes possibilités de l’infiniment grand et de l’infiniment petit coordonnés dans leurs rapports à l’image filmique, s’intéressant à ce que peut être la multiplication et la démultiplication de l’écoulement de la reproduction de l’image. Ainsi, après le roman, le cinéma est lui aussi envisagé au sein de l’excoordisme.

Dans Attaché-détaché sur seine, Anne-Catherine Caron approfondit son cinéma excoordiste en ajoutant une dimension thématique basée sur l’autobiographie. En effet, sur chacune des planches (qui correspondent à autant de plans cinématographiques), elle étend et coordonne différents événements, tours à tours anodins ou fondamentaux, de son existence.

En 2007, à la suite au décès d'Isidore Isou, elle réalise l'hommage Apparition d'une disparition, un film infinitésimal constitué d'une unique photographie, issu du récital d'Isou à la Milano Poesia de 1985, sur laquelle Anne-Catherine Caron lit un passage de La Créatique ou la Novatique et invite les spectateurs à imaginer l'apparition de la disparition d'Isidore Isou dans le cosmos et pour l'éternité.

Parallèlement à son travail dans les arts visuels, elle mène une recherche sur les mouvements externes représentés par les femmes dans leur relation à la création par l’organisation d’expositions ou l’écriture de textes spécifiques comme la dernière manifestation intitulée « Le Lettrisme au-delà de la féminitude » à la Villa Cernigliaro durant les mois d’octobre et novembre 2008.

Anne-Catherine Caron est une artiste qui, après plus de trente ans de pratique, n’a eu de cesse d’approfondir une démarche extrêmement rigoureuse et cohérente. Cet engagement sans faille dans des voies aussi hermétiques, et son refus de céder à une esthétisation facile et commerciale, font d’elle une artiste éminemment courageuse et radicale. Son travail, bien que difficile d’accès (l’appréhension de son œuvre ne pouvant se faire qu’après assimilation de certaines notions en rapport, notamment, avec les théories lettristes), mérite attention et reconnaissance.

(Damien Dion, Revue Toth, n°1, décembre 2008)



A.-C. CARON ADAPTE UN CHAPITRE DE LEWIS CAROLL

par Jean-Pierre Gillard


En 1978, Anne-Catherine Caron a donné au roman hypergraphique un petit livre remarquable qui compte comme un des meilleurs dans l’histoire de cette forme romanesque, Roman à équarrir. La phrase d’André Gide posée en exergue : “Ce livre barbare, mal équarri, sans art, sans grâce” en offrait l’exacte description. Effectivement dénuées de grâce, ces pages révélaient un univers, une personnalité.

S’en sont suivis d’autres essais romanesques plus équarris. Plus plastiques. 

Aujourd’hui, en reprenant le chapitre 12 d’Alice au Pays des Merveilles, c’est-à-dire le dernier, “La déposition d’Alice”, qui est le retour sur terre d’Alice, et en en faisant une adaptation excoordiste, elle réussit quelque chose de convaincant. Au fil des lignes du texte original, 75 petits carrés numérotés remplacent 75 mots du livre. C’est simple, très simple, l’implantation froide des carrés joue le paradoxe avec le merveilleux monde d’Alice, mais ça suffit pour ouvrir des fenêtres sur des rêveries parfaitement inconnues.

De ce point de vue, on peut s’interroger sur la nécessité d’un sous-titre mentionnant des “variations” et des “échos narratifs conjugués”, dont on ne sait exactement à quoi ils font référence. Qu’importe, cette adaptation est réussie et apporte une réelle nouveauté.

Anne-Catherine Caron, Alice à la racine carrée du lettrisme, roman excoordiste, Publications Psi 2010

(Jean-Pierre Gillard, « A.-C. Caron adapte un chapitre de Lewis Caroll », extrait du Blog du Lettrisme, 17 août 2010).



SIGNES OU SUPPORTS (& EN MEME TEMPS LES DEUX) DANS LA PROSE

par Roland Sabatier


Contrairement à de très nombreux artistes contemporains, Anne-Catherine Caron  n’a jamais attribué à l’objet, aux supports ou à l’outillage la capacité de pouvoir bouleverser la forme esthétique.

Dès sa rencontre, en 1972, avec Isou et le Lettrisme, s’est imposée à elle la conception de la prévalence absolue de cette dernière sur les autres dimensions de l’art qui se révélaient interchangeables. C’est donc dans la compréhension d’un intérêt secondaire, para-esthétique, de l’infra-structure matérielle, mécanique, à partir de laquelle Isou forgera la Méca-esthétique intégrale (1), qu’elle accomplira son œuvre, axée, avant tout, et comme il se doit, sur l’exploration combinatoire des signes de la communication visuelle offerte par l’Hypergraphie, des signes virtuels dévoilés par l’Art infinitésimal ou imaginaire et des extensions et des coordinations illimitées de l’Excoordisme.

Ces secteurs esthétiques majeurs enregistrent ses propositions ténues, hermétiques et reconnaissables, tantôt plaquées sur des toiles, tantôt réparties en fonction des exigences de la narration, mais toujours définies comme des « romans ». Son Roman à équarrir, de 1978, en établit la recension qu’elle réorganise autour d’une mise en abyme du concept prosodique. Raréfaction des éléments, persiflage, moquerie, absurdités volontaires, répétitions, caractérisent ce tour de force stylistique qui semble être dépossédé de début autant que de fin.

C’est donc dans la rigueur de la continuité de cette voie que le Roman lettriste de la Villa Cernigliaro qu’elle nous propose aujourd’hui doit être vu et considéré.

Différent des précédents, il a aussi pour source lointaine le global enrichissement qu’Isidore Isou suggérait, en 1950, dans son Essai qui précédait ses Journaux des Dieux, où la narration en prose devait s’élever au-dessus du livre pour se réaliser, au-delà du symbolique représenté par le mot, à travers le réel concrétisé de la chose signifiée ; mais aussi, précisée dans le même ouvrage, l’idée du « roman dans la rue », devenue plus tard, en 1962, l’Esth-polis ou La Fresque dans la rue, dont les contenus se dévoilaient les uns après les autres à l’issue d’un cheminement urbain. Proche encore, et dans une affinité plus diffuse, l’exposition qu’elle et moi avions réalisée, en avril 2007, dans cette même enceinte sous le titre de Collection lettriste : intime et ultime, qui intégrait à des places précises dans chacune des pièces aménagées de la vaste villa les œuvres que nous avions demandées ou commandées à chacun des artistes du groupe lettriste.

Ce nouveau roman d’Anne-Catherine Caron reprend ces principes et, d’une certaine manière, part d’eux, mais s’en éloigne en tant, non seulement qu’il les concrétise, mais surtout qu’il les développe dans un enchaînement personnalisé, avec ses propres éléments et une rythmique particulière, inusitée. Si le roman d’Isou devait se dérouler dans la rue, le sien se déploie à travers de multiples salles d’une demeure, mais il ne se réduit pas à ce seul début.

Cette fois, ce sont quatorze réalisations incarnant autant de chapitres distincts disséminés en différentes parties de la Villa qui en assurent l’articulation. Chacun est attaché à un « objet » utilitaire — non esthétique — dont on saisit d’emblée qu’ils sont tous d’un autre âge : celui du temps où la Villa voyait le notaire Cernigliaro, sa famille et son entourage s’activer dans le luxe et la mondanité ; autant d’objets, dis-je, sans doute inutilisables aujourd’hui — comme la calèche, qui semble être la célèbre « pill-box » d’origine américaine, le vieux réfrigérateur, le piano, les masques anti-gaz, le landau, la bouette, le grand drapeau portant encore armes de la Maison de Savoie, un secrétaire ayant appartenu à l’intellectuel résistant Antonicelli, des vêtements maternels, etc. —, mais conservés par l’une des filles du notaire, Carlotta, l’actuelle propriétaire, dans leur vaste cantina comme des souvenirs de son enfance dont elle ne serait jamais parvenue à se séparer.

C’est ce choix de « reliques » qu’Anne-Catherine Caron, avec leur histoire, reprend en son roman. Elle les reprend telles qu’elles sont, nécessairement en l’état usagé qui est le leur aujourd’hui, afin de n’en retenir que les trois dimensions de leur valeur idéographique.

C’est précisément cette qualification syntaxique qui différencie ses objets des objets — ready-made — de Marcel Duchamp et de ses innombrables successeurs actuels qui, outre le fait qu’ils se situent uniquement dans l’art plastique – et non dans l’art de la prose – réduisent, superposent, en fin de ciselant, la forme esthétique épuisée à la simple présentation d’une réalité comprise comme ne pouvant plus être représentée. Dans ce dont nous parlons ici, la forme esthétique est autre, de nature hypergraphique au sein de laquelle l’objet réel ne peut, au mieux, n’exprimer qu’un signe ou un simple support, sinon, en un même temps, les deux.

Comme tous les ustensiles quotidiens, ceux de la Villa Cernigliaro ont une âme qui n’existe qu’en fonction de leur relation ancienne, de toute jeunesse, avec ceux qui, pour leurs besoins ou leurs plaisirs, les ont manipulés et que l’actuelle propriétaire de la Villa, aujourd’hui, représente. En son nom et en celui de ceux qui sont absents, elle les restitue pour les évoquer en quelques phrases.

Le motif du roman, ici posé comme « fiction », renvoie à ces souvenirs. Comme traces anamnestiques organiquement liées à cette demeure, à ses occupants, et comme des accompagnants nostalgiques, ils s’imposent à Anne-Catherine Caron pour définir le thème de sa narration tridimensionnelle.

Ce perçu de « recherche du temps perdu » et les objets qui les suggèrent, non esthétiques en eux-mêmes, sont sublimés, portés au haut rang de l’art, du fait qu’ils sont, chacun à leur tour, donnés en relation avec une part formelle traduite sur autant de toiles destinées à prendre une place précise — sur ou dessus, dedans, à côté, etc. — des objets considérés.

Ces compléments aux dimensions et à l’apparence de cartels sont les marqueurs d’une esthétique qui cernent le contour de l’œuvre par l’absorption immédiate de ce qui était d’un autre registre. Le pouvoir d’accaparement du système hypergraphique est tel qu’il mue en signes tout ce qu’il touche.

En même temps, comme un métalangage, leur configuration associe les évocations de l’occupante de la demeure — exprimées par l’écriture alphabétique — et certaines images de sa vie, de ses occupations et de son cadre — manifestées par des idéogrammes photographiques — auxquelles se superposent des notations multi-signiques qui, comme des commentaires sur des commentaires surprécisent, sous un angle neuf, des points particuliers. Ces trois strates de transcription, se conjuguant pour, finalement, n’en constituer qu’une : la super écriture hypergraphique. 

Toutes ces données accumulées, certainement, déroutent : au déchiffrement de chacun des chapitres, l’allure apparemment simple du discours général demeure contredite, réévaluée, par l’hermétisme de ce qui nous est donné pour l’expliquer.

De toute façon, et même si nous ne sommes que quelques-uns à savoir que l’essentiel est ailleurs, n’est-ce pas de ce recours constant à ce paradoxe ou à cette dialectique que naît, comme une véritable manœuvre de force, l’originalité étrange de ce Roman lettriste de la Villa Cernigliaro ?

La question, si elle peut encore se poser aujourd’hui, risque dans l’avenir, avec Anne-Catherine Caron et le lettrisme, de ne plus même devoir nécessiter de réponse.

Paris, juillet 2011

(1) Si Isou posait les premières bases du renouvellement des supports de la prose, en 1950, dans l’Essai qui précédait Les Journaux des Dieux, ce sera en 1952, dans l’Esthétique qui introduisait son Esthétique du cinéma, publiée dans Ion, qu’il théorisera les fondements de la Méca-esthétique générale. Cette conception sera reprise, en 1963-1967, dans sa relation avec les arts plastiques dans De l’impressionnisme au Lettrisme. L’évolution des moyens de réalisation dans la peinture moderne, qui paraîtra en 1973 aux Editions Filipacchi dans la Collection Le Monde des Grands Musées. Nous en reproduisons dans cet ouvrage le dernier chapitre consacré à la méca-esthétique lettriste, pour lequel, avant sa disparition et en rapport avec le projet d’Anne-Catherine Caron déjà envisagé à l’époque, l’auteur nous avait donné son accord pour le reproduire tout en manifestant sa satisfaction de le voir « traduit dans la langue de Dante ». Ce même chapitre avait également été antérieurement reproduit dans le catalogue de l’exposition, Isidore Isou et la méca-esthétique (1944-1987), organisée par la Galerie de Paris, en 1987.

(Préface au catalogue de l'exposition de A.-C.Caron, Roman lettriste de la  Villa Cernigliaro, éd. ZeroGravita, Sordevolo, 2011.)



ENTRETIEN AVEC GUILLAUME ROBIN


Guillaume Robin - Tu nous proposes un nouveau roman que tu qualifies de « tridimensionnel », que veux-tu dire par là ?

ACC – Le Lettrisme propose une vision totale de la création esthétique dont l’une des particules nouvelles s’inscrit dans la structure de l’hypergraphie qui convoque l’ensemble des signes de la communication visuelle. Ceux-ci pouvant s’organiser en deux dimensions, sur des toiles, en des rythmes originaux, ou bien en trois dimensions, lorsqu’il s’agit de supports constitués d’objets comme c’est le cas dans cette présente exposition.

Tout cela commence avec la révolution opérée par Isou dans son Essai sur la définition, l’évolution et le bouleversement total du roman et de la prose de 1950, puis au Salon Comparaisons hébergé, en 1962, au Musée d’art Moderne où Isou présente sa révolutionnaire télévision déchiquetée ou l’anti-crétinisation voilée par un papier déchiré en forme d’écriture et, également, des livres ordinaires définis, à juste titre, comme des œuvres tridimensionnelles que, dans un autre cadre et pour illustrer une autre structure, nous trouvions déjà en 1960 dans l’exposition de la galerie Valérie Schmidt sous le titre de Sculptures supertemporelles.

GR. - Mais tous ces objets ne sont-ils pas tout simplement des ready-made comme Duchamp les proposait il y a presque un siècle ? Tout cela n’est-il pas un peu dépassé ?

ACC – A mon sens, ce sont les multiples artistes contemporains, copieurs éhontés et sans vergogne du grand créateur dada qui sont à la traîne. Ils exhibent quotidiennement des objets qui se veulent toujours plus provocateurs et démentiels et qui trompent leur monde en abusant les collectionneurs et les directeurs de musée, car ils n’inventent aucune forme esthétique nouvelle, mais se contentent de proposer des valeurs dites thématiques ou sociologiques pour fourguer des « marchandises » qui n’ont rien à voir avec l’art dans le cadre d’une surenchère actuellement soutenue par le marché, comme cela a toujours été le cas parallèlement à la création authentique. Les Khanveiler d’aujourd’hui sont les collectionneurs et galeristes qui soutiennent le Lettrisme, comme Eric Fabre avec, notamment sa belle exposition de Lisbonne Algumas obras a ler coleccao Eric Fabre, ou Carlotta Cernigliaro qui, avec des moyens toujours plus réduits en raison des crises économiques qui se succèdent hélas depuis ces dernières années, se bat à nos côtés.

GR – Explique-moi maintenant pourquoi il s’agit d’un Roman, je trouve cela un peu surprenant même si, pour ta part, tu affubles presque toutes tes œuvres de ce qualitatif, du genre Roman d’une Lettriste, Roman à Equarrir ou Roman d’une exposition, cet aspect n’est-il pas, au bout du compte, trop systématique ?


ACC – C’est, me semble-t-il, son systématisme qui constitue justement l’intérêt de ma démarche. L’hypergraphie représente la fusion de la forme narrative défunte et de la peinture parvenue à son épuisement final avec Dada que nous situions tout à l’heure. Désormais, comme Isou l’a écrit dans son Essai, les romans s’écriront avec des punaises, des mégots de cigarettes et se déplaceront même dans la rue pour que le parcours prévu par l’écrivain et ses différentes étapes constituent les éléments mêmes du roman. Le texte Les Moyens de réalisation dans l’art plastique lettriste et infinitésimal d’Isou (paru la première fois chez Filipacchi dans De l’Impressionnisme au Lettrisme. L’évolution des moyens de réalisation de la peinture moderne, en 1973, et repris par la Galerie de Paris, en 1987, dans le catalogue de l’exposition Isidore Isou et la Méca-esthétique 1944-1987) republié à l’occasion du catalogue de mon exposition avec sa première traduction en Italien ainsi que la présentation de Sabatier répondent à tes questions à ce sujet et participent de la propagation des apports d’Isou que je juge fondamentaux pour faire avancer notre mouvement.

J’ai toujours rêvé d’écrire des romans composés d’objets, de mécaniques de différentes formes et dimensions, depuis que j’ai lu cette phrase d’Isou que j’ai introduite dans mon Roman à Equarrir : « Le roman deviendra herbier, insectaire, zoo, il débitera des bêtes qu'on peut tirer à mille exemplaires (des punaises, des oiseaux et des chats errants). Les bêtes trop grandes, on les offrira liées à la couverture du roman. Le roman deviendra une cage à bêtes. » J’aime ce débordement au-delà des frontières traditionnelles de la page, avec cette précipitation dans les mécaniques et les supports les plus variés qui se transmuent naturellement en éléments idéographiques.

De plus, tous les effets personnels qui accompagnent matériellement les individus et leur intimité me fascinent, tous comme les lieux qui les abritent. Tels des nomades provisoires, nous sommes à la fois submergés et séparés de ces objets qui deviennent les compagnons visuels et mentaux d’une partie de notre vie. Nous posons souvent sur eux un regard nostalgique. Ils nous hantent comme des prolongations disparues de nous-mêmes. Il y a là une histoire de  « perte », de « brisure », de détachements inévitables. Leur renvoi à des images du passé, et même du présent, à des constructions de l’enfance et du temps est indissociable de leur présence comme de leur absence. J’ai donc voulu restituer leur mémoire vivante à travers leurs présences réelles dans ce roman matériel d’une vaste ampleur spatiale. Il me vient également en mémoire, justement des mots d’Isou : « Comme la peinture, le roman métagraphique devient un art du regard qui prend sa force dans l’œil ». Dans cette exposition, cela saute aux yeux, en somme cela me semble frappant.

GR. C’est pour cela que tu as organisé ton roman autour de chapitres précis, retraçant une tranche de vie de cette Villa magique et enchanteresse lorsqu’on la connaît. C’est un lieu qui a une âme que tu as voulu « cueillir » sous sa forme romanesque en utilisant les objets comme tes matériaux, tes mots à toi…

Oui, lorsque je conserve un objet ou que j’en découvre un fortuitement, je me dis toujours que j’en ferai une œuvre. Tous les objets, les bouts de papier les plus ordinaires qui m’entourent, constituent pour moi une partie d’un gigantesque roman que j’écris tous les jours.  C’est un peu ce que je fais avec les objets de Carlotta. Je les ai élevés au rang de chapitres de mon roman. Pour expliquer les choses simplement, j’ai pris ses objets à la place d’un ensemble de mots susceptibles de les représenter dans un découpage narratif traditionnel, mais je leur ai attribué la valeur idéographique qu’ils assument dans le système des super-notations. J’ai décidé de travailler sur la base d’une triple stratification, constituant à part entière les différents éléments de mon écriture. On trouve donc d’abord l’objet lui-même valant à la fois comme support intrinsèque et comme valeur conceptuelle. Ensuite, il y a la toile que j’ai systématiquement disposée dans sa proximité immédiate. Elle a pour fonction de révéler une signification supplémentaire, un surlignage plus hermétique de mon propos, à travers à la fois une photographie fixant des moments de la vie de Carlotta, souvent en relation avec son activité de galeriste, et un agencement de signes personnels illustrant une autre mise en abîme de ma narration. Cette même toile fonctionne comme un cartel et intègre, également, dans sa dernière couche, le témoignage de Carlotta rédigé en langue utilitaire qui lui aussi est absorbé dans mon roman en tant qu’élément hypergraphique pur. Dans tout cela c’est la super-écriture qui gagne sur tous les plans et c’est pour moi son aspect jubilatoire primordial. 

Au niveau anecdotique, alors que je concevais cette exposition, la maison familiale où j’avais rencontré mes premiers amis lettristes a été vendue. Ces mécaniques, ici offertes par Carlotta, m’ont permis d’établir une sorte de substitution personnelle, un transfert symbolisé par ces traces de la charpente d’une narration articulée sur mes souvenirs matériels d’un presque double identifié chez Carlotta. Ce thème m’est très cher, c’est du registre: « Objets, avez-vous donc une âme survivant à votre anéantissement ? Des  objets qui sont indissociables des hommes et des femmes qui les ont possédés.

GR. Il me semble que c’est assez original de ta part, premièrement dans ta démarche, même si elle est à l’ordinaire basée sur l’art romanesque, et, deuxièmement, au sein du mouvement dont tu es l’une des représentantes.

ACC. Dans ce que tu dénommes ma « démarche », tout en appliquant rigoureusement les théories du Lettrisme, je recours aussi à ce que j’appelle l’intuitif, cela paraît peut-être absurde, mais je me laisse guider par quelque chose qui relève certainement d’une partie de mon inconscient et parfois cela marche, c’est peut-être ici le cas, mais je me garderai bien d’affirmer que mon œuvre, en dehors de sa filiation directe avec les découvertes d’Isou et un certain nombre de ses réalisations, est l’une des premières dans le domaine que j’explore bien que d’après ce que je connais de mes camarades, aucune réalisation, précisément de cette ampleur, n’a été réalisée dans le domaine de la prose hypergraphique.

Bon, quoi qu’il en soit, dans le cadre de mon travail, c’est, je pense, original du point de vue des dimensions des mécaniques, car pour de multiples raisons, je n’ai la plupart du temps utilisé que des matériaux « pauvres » ou traditionnellement attachés à l’art de la prose ou des toiles, souvent de petits formats, depuis la fusion maintenant reconnue entre cette expression et l’hypergraphie présentée sous forme de tableau. Mais, avant tout, c’est véritablement mon rêve de romancière qui se réalise : utiliser de vrais objets pour concevoir une œuvre en prose scandée par des supports représentant autant de chapitres constitutifs d’une narration, ici familiale, mais de manière plus générale de nouvelles Sagas. Je rêve toujours que tous les objets qui m’entourent deviennent des éléments, si ce n’est les « sujets naturels » de mes romans. Maintenant je vais m’attaquer directement à la matière humaine, à la conscience des êtres que je connais, côtoie ou imagine pour édifier le Roman infini appelé de ses vœux par Von Hardenberg.

(Propos recueillis par Guillaume Robin, parus dans la Revue Scission, Paris, le 31 octobre 2011, à l’occasion de son exposition de « Roman lettriste de la Villa Cernigliaro »  à Sordevolo en Italie).



ROMAN CONTRE

par Joël Gayraud

   

Le Roman contre de Catherine Caron m'accompagne depuis bientôt trente-cinq ans. Cette petite toile écrue, semée de carrés dessinés à l'encre brune qui rappelle la couleur sépia des photographies anciennes,  m'est si familière qu'elle paraît avoir toujours été là, se greffant à de nouveaux murs à chacun de mes déménagements. Il me plaît de penser que, semblable à une plaque sensible, non à la lumière, mais aux événements quotidiens, aux paroles lancées ou étouffées, aux gestes ébauchés ou accomplis, et aussi bien à tous les possibles non réalisés, elle se soit imprégnée peu à peu de tout ce qu'elle a senti vivre en moi, chez moi et autour de moi. Elle rejoignait ainsi sa signification primitive, qui était de convier le « lecteur » à y projeter l'histoire qu'il lui convenait librement d'imaginer. Aussi ce roman aux cases vides qu'avait conçu une jeune femme de dix-huit ans pour que le regard d'autrui en écrive et en déchiffre simultanément les pages virtuelles, porte-t-il sans doute, en une surcharge invisible, la mémoire de discussions passionnées, de projets démesurés, de récits mirifiques, autant que de banalités désolantes, comme si chacun des petits carrés alignés sur la toile contenait imaginairement un chapitre réel de ma biographie rêvée.    

Roman contre, mais contre quoi ? Une première version, que je n'ai pas connue, car vite soumise à la censure du repentir précisait : contre l'ignorance. Cette prise de position a sans doute paru trop présomptueuse à celle qui, si jeune, avait encore tant à apprendre, et d'abord de la vie; elle a préféré l'effacer, et laisser indéterminée la visée, lui ouvrant du même coup un plus vaste champ de tir. Contre tout ce qui mérite d'être critiqué, donc, et dès lors l'entreprise est sans limites. Mais, avec le recul, il me plaît fort que l'ignorance ait été prise pour cible en priorité, tant cet outrage capital contre l'esprit a été systématiquement entretenu durant toutes ces années par les instances médiatiques et culturelles, voire érigé en valeur suprême d'une post-modernité décomplexée. Exactement ce à quoi Catherine Caron, dans l'inactualité radicale de sa démarche, a toujours su s'opposer.

(Joël Gayraud, 2012. Ecrit à l’occasion de l’exposition « Pensiez-vous (vraiment) voir une exposition ? Bientôt les lettristes », au Passage de Retz, Paris, mai-juin 2012).



INTERVIEW A ANNE-CATHERINE CARON PAR HUGO BERNARD (extraits de 2013)

(en cours de publication aux Publications PSI)

Hugo Bernard. Au fond, en travaillant l’hypergraphie, en la « pétrissant », en réfléchissant à ce que tu pouvais faire avec ton carré, je me demande si tout bonnement tu ne t’es pas posé la question de son  altération. N’est-ce pas un sacrilège lorsque l’on choisit une figure aussi précise ?

Anne-Catherine Caron. Le thème de la décomposition m’a effectivement effleurée et même plus. Pour être plus précise, c’est celle de la fragmentation du carré qui m’obsédait et m’obsède encore. Pour le sacrilège, il est perpétuel… mais ce que tu dis est surtout drôle. Nous reviendrons sur cette « profanation » plus tard, car il y a plein d’idées là-dedans, certainement liées à la création… (…)

HB. A travers cette volonté que je qualifierais de « destructrice », peut-être dans ta « parenthèse actuelle » de 1990 où je vois aussi « un rajout » un peu ironique, mais surtout dans d’autres réalisations de toi que j’ai eu l’occasion de voir, peut-on aller jusqu’à affirmer que tu as voulu, même inconsciemment, pratiquer la polythanasie ?

ACC. Savoir s’il s’agissait d’une forme inconsciente de polythanasie, c’est vouloir sonder mon âme… Je connaissais les travaux de Sabatier et son acharnement systématique en la matière. Il investit toujours totalement le terrain qu’il choisit. Il explore toutes les solutions. Je l’admire, notamment, pour cette approche qui, dans son propos, vise à l’exhaustif. C’est un état d’esprit et ce que j’appelle sa constance sans faille: il ne lâche jamais, il ne se décourage pas, il tisse, il forge envers et contre tout et tous. J’avais lu Situation de mes apports dans la polythanasie esthétique de 1974, mais je ne peux pas affirmer que c’était le sens premier de mes préoccupations.
La fragmentation possible, la décomposition de mon élément de prédilection, comme mon élément lui-même, m’a beaucoup hantée, je dirais « de l’intérieur ». Que faire de ce carré ? De quelle manière le présenter pour organiser mes romans, leur amplitude comme leur appauvrissement. Il a fallu réfléchir et aller vers le plus simple. Ce qui est toujours très compliqué. Quand on hypergraphie, il faut continuellement trouver des solutions comme dans l’écriture alphabétique traditionnelle. Il est vrai que j’ai voulu décomposer. Pourquoi? Pour trouver quelque chose de peut-être plus minimal et plus mystérieux, mais aussi pour instaurer une “rythmique”, la fournir, enfin la proposer et l’enrichir. (…).

HB. Cela fait aussi partie d’un système de ponctuation que tu as introduit dès tes premiers romans, comme l’astérisque de Domaine de l’imaginaire ou bien ENSEMBLE Romanesque hypergraphique (Le nouveau Roman) où tu remplis l’un de tes carrés de tas de virgules.

Bien sûr, ça c’est ma prose ! Pour paraphraser quelqu’un, j’ai voulu asseoir le carré sur mes genoux et je l’ai trouvé amer. Je l’aime, mais je le déteste aussi. Je l’explique dans Roman à Equarrir. Il est alors évident que la volonté d’anéantissement renvoie à une forme de destruction. L’idée est que j’ai voulu ciseler mon élément, dans le sens propre et figuré. Mais je ne peux pas dire que j’ai exploré cette piste d’une manière systématique.

HB. Ne crains-tu pas, en utilisant ces quatre angles, en série comme en solution unique, que l’on fasse un trop grand rapprochement avec l’art abstrait ?

ACC. N’oublie pas que j’avais introduit des A et des Z pour plusieurs raisons, d’abord pour signifier qu’il s’agissait d’une écriture, de romans (ça commençait par des A et ça se terminait par des Z, car au milieu j’inventais mes ou plus exactement « mon carré ») et de lettres que j’écrivais, comme dans Lettre à Frédérique, Avertissement au lecteur, de Roman à Equarrir ou comme dans Dissertation hypergraphique que j’ai exposée à la Villa Tamaris. (…). Je connaissais le risque d’association avec l’abstrait. (…)
Cependant, aligner ou triturer ces signes-notations, les déformer et les reformer fait partie intégrante de cette super-écriture qui s’élabore au jour le jour, d’une ligne à l’autre. Ce sont des tournants successifs, une grammaire et une syntaxe qui s’organisent consciemment et à ton insu quand on développe la prose hypergraphique. Mais j’ajouterai aussi comme le dit Isou dans L’Epreuve des formes, à plusieurs reprises vérifiée par Sabatier, que l’introduction d’une partie, même infime, d’abstrait dans un tableau figuratif ne dénature pas sa qualité, on peut dire que le figuratif digère littéralement l’abstraction et, de la même manière, un simple élément de la super-écriture insérée dans un tableau figuratif ou abstrait, le transforme l’un et l’autre en œuvre hypergraphique. Ainsi, l’intégration d’un élément « abstrait » dans un ensemble hypergraphique disparaît pour se redéfinir lui même comme un simple signe de la multi-écriture. Chez Malévitch, le carré n’a pas à souffrir de cette assimilation, car l’hypergraphie n’existait pas à son époque. (…). C’est beau, le filtre de la création !

HB. Ce qui serait intéressant, c’est de tenter de décrire les différents stades inhérents à ton élaboration, enfin ce qui caractérise ton cheminement intellectuel et esthétique ?

ACC. On peut dire de la sorte. On peut parler de cheminement, sans oublier que le créateur du Lettrisme a fondé les bases et les développements et que d’autres ont défriché avant moi. J’ai procédé à travers des étapes très diverses, avec mes mises en colonnes, mes arrêts et mes brisures des lignes, mes trous, les retours à la ligne et au point de départ et mes repentirs.
Dans la Suite Pharaonique qui est un texte que j’ai écrit sur l’œuvre de  Micheline Hachette, je place en exergue cette citation d’Isou que j’aime beaucoup : « La totalité de la Super-écriture des lettristes ou l’Hypergraphie nous a révélé que les écritures pratiques ou sacrées passées – chacune d’entre elles enfermée en sa structure de signes comme une zone de civilisation autonome -, sont de simples fragments d’un ensemble contenant une infinité – des milliards – de systèmes d’écritures semblables, non seulement possibles ou virtuels, mais mieux, réalisables, que nous effectuons concrètement et explicitons grâce justement à notre sphère intégrale, moderne. »  Pour continuer à citer, car j’aime beaucoup lire et relire Isou, notamment La Créatique, car j’y découvre tous les jours des éléments nouveaux : “Il faut savoir dépasser les points de suspension, qui représentent le vide, afin de mettre en relief les terrains que ces points de suspension n’ont pas exposés ». Cela est sublime. (…)









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ECRITS SUR ANNE-CATHERINE CARON